jeudi 27 septembre 2012

Séance de Shintaido au centre "Luta pela paz"

Le 26 septembre 2012, je suis allée à l'ONG Fight for peace, située dans le complexe de Marê, à la périphérie de Rio pour présenter le Shintaido à un groupe d'adolescents. Cet article raconte le récit de ma visite à l'ONG.  

Le Complexe de Marê regroupe 17 favelas (Rio en compte 763) où résident 132 000 personnes dont plus de la moitié sont des enfants, des adolescents et des jeunes adultes. Le taux de pauvreté, d'exclusion et de violence y est extrêmement élevé. Il n'y a pour ainsi dire quasiment aucun service public.


L'ONG Luta pela paz (Fight for peace) existe à Rio depuis 2000.  Elle utilise la boxe et les arts martiaux pour aider les jeunes défavorisés à développer leur potentiel et à inventer un futur.  Elle propose également du soutien scolaire, des formations et une aide sociale. Le tout fondé sur des principes de respect, de valorisation et d'entraide mutuelle.

Se rendre à Marê n'est pas simple, il faut prendre un bus qui mène du centre de Rio jusque vers la périphérie de la Zone Nord. Le trajet prend environ 1h, mais comme les bus passent rarement, il faut bien compter 2 heures. Une fois atteint la passerelle 9, on descend du bus pour entrer dans la favela, immense labyrinthe de rues en terre battue où s'étalent, dans un désordre légèrement structuré, des maisons en briques, des baraques en tôle, des cabanes en bois. L'ambiance est colorée : la musique résonne, des étals proposent des fruits, des légumes, des poissons, des épices, mais aussi des vêtements et du bric-à-brac. Des motos passent à tout allure, en vrombissant. Les voitures sont rares. Les habitants se déplacent à bicyclette ou à pied.

A Marê, on ne sait jamais trop ce qui peut arriver, ni qui l'on peut rencontrer...  Les règles sont différentes. La violence y est extrême : trafic de drogue, mafia, crimes, règlement de compte, balles perdues. C'est surtout l'arrivée des forces de la police qui est redoutée. Marê est l'une des communautés de Rio qui n'a toujours pas été pacifiée par l'UPP (Union Pacificatrice de la Police) en vue de la Coupe du monde en 2014. La loi est celle des gangs et des trafiquants qui font régner la terreur. Traverser la communauté pour rejoindre le Centre Luta pela paz est un défi : ne pas croiser les regards, ne pas se faire remarquer, marcher droit, rester vigilant.

Après la traversée de la favela, la vue du Centre de Luta pela paz fait l'effet d'arriver à une oasis. Le Centre est propre, bien tenu, bleu à l'extérieur mais aussi à l'intérieur. Il n'y a aucun graffiti sur les murs. L'ambiance est détendue, les visages souriants et l'accueil chaleureux. On se sent rapidement à l'aise.

 L'équipe m'a proposé de faire une séance de Shintaido pour un groupe d'adolescents, dans le cadre d'un cycle de cours sur la violence et la vulnérabilité. La séance a lieu dans un dojo tout neuf, spacieux. Les adolescents se présentent les uns après les autres et se montrent particulièrement fiers d'énoncer leurs pratiques : judo, lutte libre, boxe, ju-jitsu, capoeira. Avant que le cours ne commencent, je les observe jouer à lutter. Plusieurs semblent avoir déjà une longue expérience. Leurs mouvements sont précis, efficaces. Je les admire et me dis que je ne saurai sans doute pas en faire autant...

Après un bref échauffement, j'ai choisi de mettre l'accent sur la forme Daijodan et son application avec partenaire, comme expression de la vulnérabilité. Je termine la séance avec Shinwa taiso, l'étirement du dos au sol. Les adolescents rigolent et se dispersent rapidement. Si certains sont appliqués, ils se laissent toutefois facilement distraire par les éléments perturbateurs. Ils parlent vite, dans un argot que je ne comprends pas toujours. L'ambiance est bruyante, chaotique, mais bonne enfant, la concentration reste difficile à tenir. Parfois l'un d'entre eux se jettent brutalement sur un autre, jusqu'à le faire basculer à terre. Les mouvements et les sons du Shintaido provoquent leurs rires. J'arrive à garder mon sang froid et réussis à inventer des subterfuges pour capter leur attention. A trois reprises, un silence royal règne dans le dojo : lors des respirations en seiza, en faisant Aozora-taiso et quand je fais une démonstration de daijodan. Les mouvements du Shintaido ainsi que le gorei  me soutiennent et m'aident à rester concentrée. Je comprends rapidement que compte tenu de leur environnement, il est crucial pour eux d'apprendre à s'ouvrir sans pour autant devenir plus vulnérable encore. Marê est un champ de bataille où l'on peut perdre la vie.

Après la pratique, nous lançons le débat : les jeunes se mettent à parler de leur vulnérabilité au quotidien. Ils racontent des histoires tout en faisant des blagues. Chacun connait au moins une personne qui est mort sous les balles de tir.  Le pire, ce sont les descentes intempestives de la police qui viennent  arrêter les trafiquants. Alors, les tirs commencent et la communauté devient un enfer. Il y a aussi une autre forme de violence plus sournoise qui sévit au sein des familles : mères battues, parents maltraitants, enfants battus à leur tour... Ils sont confrontés depuis leur naissance à une dose de violence quotidienne difficilement imaginable, dans un environnement où l'imprévisible est la règle. Ils ont la peur au ventre et vivent avec constamment. Apprendre à lutter est pour eux une planche de survie, toutefois ils n'ont pas le droit de lutter à l'extérieur du Centre au risque d'en être exclus... Rapidement, c'est de nouveau le brouhaha et plus personne ne s'écoute.

A la fin de la séance, nous faisons Aozora-taiso tous ensemble. Les jeunes et l'équipe ont l'air d'apprécier. Puis, nous chantons tous ensemble pour nous donner du courage. Les rires fusent à nouveau et c'est le moment de se quitter... En partant, ils me demandent quand je reviendrai et me remercient.

Je repars heureuse d'avoir vécu cette expérience un peu "Beyond the limits" pour moi et aussi touchée d'avoir partagé le Shintaido avec eux. Je reviendrai à Marê le mois prochain pour pratiquer avec les jeunes mères cette fois...                                                                                                                                                                                          


Premiers pas

Dans ce blog, j'ai l'intention de décrire l'expérience de développement du Shintaido à Rio de Janeiro où je suis installée depuis juillet 2011.

C'est une expérience que je trouve particulièrement intéressante et enrichissante pour moi. Il n'y a aucun cours de Shintaido à Rio et cet art n'est presque pas connu au Brésil. J'ai ainsi devant moi un grand territoire vierge où je peux planter des graines, accompagner leur développement et assister à la floraison. Il y a aussi les difficultés, celles que rencontrent tout instructeur, auxquelles viennent s'ajouter celles liées non seulement à mon isolement sur place mais aussi aux différences culturelles et géographiques.

Depuis mon arrivée, j'ai ouvert deux cours de Shintaido, l'un dans un centre d'Aïkido et l'autre dans un espace dédié à des pratiques corporelles en conscience, Espaço Jaguadarte. Le public initial a été mes amis, puis les amis de mes amis, puis les amis des amis de mes amis, etc. J'ai rapidement édité une petite plaquette pour présenter le Shintaido et donner les informations pratiques. J'ai également créé un site web www.shintaidorio.com. Pour divulguer les cours, j'ai organisé des cours gratuits, ainsi que deux  démonstrations. J'ai également commencé à donner des cours individuels pour des personnes qui n'ont pas la condition physique adéquate pour participer aux cours collectifs.

Globalement, le Shintaido reçoit un bon accueil à Rio. Les personnes qui sont venues expérimentées un cours ont pour la plupart aimé, se sont senties dans une meilleure condition physique et énergétique après la séance, avec une légère sensation euphorisante et un mental clarifié. Les gens d'ici rentrent avec facilité dans la pratique. Il faut dire que le contact physique est bien plus naturel au Brésil que dans la culture française. De plus, il y a une conscience corporelle développée. Enfin, le climat plutôt chaud et humide laisse le corps plus détendu. La difficulté est ailleurs : celles de se concentrer sur UNE activité, d'être régulier, de ne pas se disperser, de persévérer...