Le Complexe de Marê regroupe 17 favelas (Rio en compte 763) où résident 132 000 personnes dont plus de la moitié sont des enfants, des adolescents et des jeunes adultes. Le taux de pauvreté, d'exclusion et de violence y est extrêmement élevé. Il n'y a pour ainsi dire quasiment aucun service public.
L'ONG Luta pela paz (Fight for peace) existe à Rio depuis 2000. Elle utilise la boxe et les arts martiaux pour aider les jeunes défavorisés à développer leur potentiel et à inventer un futur. Elle propose également du soutien scolaire, des formations et une aide sociale. Le tout fondé sur des principes de respect, de valorisation et d'entraide mutuelle.
Se rendre à Marê n'est pas simple, il faut prendre un bus qui mène du centre de Rio jusque vers la périphérie de la Zone Nord. Le trajet prend environ 1h, mais comme les bus passent rarement, il faut bien compter 2 heures. Une fois atteint la passerelle 9, on descend du bus pour entrer dans la favela, immense labyrinthe de rues en terre battue où s'étalent, dans un désordre légèrement structuré, des maisons en briques, des baraques en tôle, des cabanes en bois. L'ambiance est colorée : la musique résonne, des étals proposent des fruits, des légumes, des poissons, des épices, mais aussi des vêtements et du bric-à-brac. Des motos passent à tout allure, en vrombissant. Les voitures sont rares. Les habitants se déplacent à bicyclette ou à pied.
A Marê, on ne sait jamais trop ce qui peut arriver, ni qui l'on peut rencontrer... Les règles sont différentes. La violence y est extrême : trafic de drogue, mafia, crimes, règlement de compte, balles perdues. C'est surtout l'arrivée des forces de la police qui est redoutée. Marê est l'une des communautés de Rio qui n'a toujours pas été pacifiée par l'UPP (Union Pacificatrice de la Police) en vue de la Coupe du monde en 2014. La loi est celle des gangs et des trafiquants qui font régner la terreur. Traverser la communauté pour rejoindre le Centre Luta pela paz est un défi : ne pas croiser les regards, ne pas se faire remarquer, marcher droit, rester vigilant.
Après la traversée de la favela, la vue du Centre de Luta pela paz fait l'effet d'arriver à une oasis. Le Centre est propre, bien tenu, bleu à l'extérieur mais aussi à l'intérieur. Il n'y a aucun graffiti sur les murs. L'ambiance est détendue, les visages souriants et l'accueil chaleureux. On se sent rapidement à l'aise.
L'équipe m'a proposé de faire une séance de Shintaido pour un groupe d'adolescents, dans le cadre d'un cycle de cours sur la violence et la vulnérabilité. La séance a lieu dans un dojo tout neuf, spacieux. Les adolescents se présentent les uns après les autres et se montrent particulièrement fiers d'énoncer leurs pratiques : judo, lutte libre, boxe, ju-jitsu, capoeira. Avant que le cours ne commencent, je les observe jouer à lutter. Plusieurs semblent avoir déjà une longue expérience. Leurs mouvements sont précis, efficaces. Je les admire et me dis que je ne saurai sans doute pas en faire autant...
Après un bref échauffement, j'ai choisi de mettre l'accent sur la forme Daijodan et son application avec partenaire, comme expression de la vulnérabilité. Je termine la séance avec Shinwa taiso, l'étirement du dos au sol. Les adolescents rigolent et se dispersent rapidement. Si certains sont appliqués, ils se laissent toutefois facilement distraire par les éléments perturbateurs. Ils parlent vite, dans un argot que je ne comprends pas toujours. L'ambiance est bruyante, chaotique, mais bonne enfant, la concentration reste difficile à tenir. Parfois l'un d'entre eux se jettent brutalement sur un autre, jusqu'à le faire basculer à terre. Les mouvements et les sons du Shintaido provoquent leurs rires. J'arrive à garder mon sang froid et réussis à inventer des subterfuges pour capter leur attention. A trois reprises, un silence royal règne dans le dojo : lors des respirations en seiza, en faisant Aozora-taiso et quand je fais une démonstration de daijodan. Les mouvements du Shintaido ainsi que le gorei me soutiennent et m'aident à rester concentrée. Je comprends rapidement que compte tenu de leur environnement, il est crucial pour eux d'apprendre à s'ouvrir sans pour autant devenir plus vulnérable encore. Marê est un champ de bataille où l'on peut perdre la vie.
A la fin de la séance, nous faisons Aozora-taiso tous ensemble. Les jeunes et l'équipe ont l'air d'apprécier. Puis, nous chantons tous ensemble pour nous donner du courage. Les rires fusent à nouveau et c'est le moment de se quitter... En partant, ils me demandent quand je reviendrai et me remercient.
Je repars heureuse d'avoir vécu cette expérience un peu "Beyond the limits" pour moi et aussi touchée d'avoir partagé le Shintaido avec eux. Je reviendrai à Marê le mois prochain pour pratiquer avec les jeunes mères cette fois...