Mardi soir, je suis retournée au complexe de Marê, dans le Centre Luta Pela Paz. J'y allais pour donner un cours de Shintaido kenko taïso aux mères des élèves. Mais, les choses ne se sont pas passées exactement comme prévu...
16h00. Je me prépare pour partir donner mon cours à Luta Pela Paz (Fight for peace), dans le complexe de Marê. Puisque c'est l'heure du rush, j'ai prévu une marge de temps supplémentaire. J'enfourche ma bicyclette pour rejoindre la station de métro Cidade Nova d'où je vais prendre un bus qui me mènera jusqu'au quartier Nova Holanda. C'est un véritable périple et je m'y rends seule pour la deuxième fois.
Complexe de Marê |
Le bus s'éloigne peu à peu du centre de Rio, et se remplit à chaque arrêt davantage de passagers. Je m'aperçois bientôt que je suis une des seules personnes à avoir la peau claire. Les chanceux qui ont trouvé une place assise, se sont pour la plupart endormis, harassés par leur journée et la chaleur moite qui règne dans le bus. Pour ma part, le trajet se fera debout. Il est long, et les embouteillages le rendent plus long encore. Le soleil termine sa course dans le ciel et l'horizon est déjà tout orangé. Lorsque j'arrive à la passerelle 9, il fait presque nuit.
18h. J'entame ma traversée de la favela. La musique des hauts-parleurs bat son plein. Les effluves de viandes grillées se mélangent à celles des fruits, du poisson séché et du pop-corn. Ce mélange bigarré couvre l'odeur nauséabonde qui règne habituellement dans la favela, en l'absence de traitement des eaux usées. Les passants sont nombreux, l'ambiance de la rue principale est animée et quelque peu chaotique, l'éclairage est limité : un réverbère sur trois fonctionne et les loupiotes des échoppes et des boutiques n'éclairent que faiblement la rue couverte de terre.... Je me sens toutefois en sécurité, bien que sur mes gardes, et apprécie l'animation qui règne. La semaine passée, le complexe était presque en état de siège et l'accès en était plutôt déconseillé. A l'approche des élections municipales, les forces de police avaient fait irruption dans la favela pour arrêter des trafiquants, générant un climat de tension et de peur chez la population.
Séance de capoiera devant le centre Luta Pela Paz |
Le dojo du Centre Luta Pela Paz |
19h15. Aucune mère n'est encore arrivée. Je discute avec les professeurs de Judo et de lutte libre sur les arts martiaux, en général, et sur l'importance de transmettre l'esprit de la pratique dans les entraînements, en particulier.
19h20. La coordinatrice du groupe des mères vient s'excuser car la rencontre doit être annulée, aucune mère n'étant venue. "C'est difficile de les sortir de leur routine, me dit-elle, surtout lorsque la proposition est assez ouverte, comme aujourd'hui". "Pour ne pas que tu te sois déplacée pour rien, ajoute-t-elle, nous te proposons à la place de donner un entraînement de Shintaido aux jeunes. C'est justement l'heure de leur cours de Judo. Et la professeur de Judo est d'accord pour te laisser sa place." Je jette un coup d'oeil par dessus le grillage et j'aperçois une quinzaine de jeunes entre 14 et 25 ans, dont une seule jeune fille plutôt corpulente, qui attendent en bas, dans la cour. Ils discutent avec leur professeur de Judo. Ils ont aimé la proposition, semble-t-il, car rapidement ils montent jusqu'au dojo, enfilent leur tenue, tout en me lançant des regards furtifs.
Jigoro Kano |
Shintaido |
22h15. Je quitte le Centre avec deux autres collègues. Nous traversons la favela en voiture pour rejoindre l'Avenida Brasil d'où je vais prendre un bus, puis le métro qui me ramènera vers la Zone Sud et mon domicile. Chaque visite à Marê me fait davantage prendre conscience comment deux réalités si opposées, se côtoient à si peu de distance : l'opulence, les privilèges et le confort d'un côté, la pauvreté, l'absence de tout et la lutte pour survivre, de l'autre. Pendant le trajet, je repense à l'intensité de l'expérience inattendue que je viens de vivre. Je revois les visages des jeunes en train de pratiquer et suis tellement heureuse d'avoir partagé cette pratique de Shintaido avec eux. J'ai une pensée pour tous ceux et toutes celles qui enseignent le Shintaido, à travers le monde....
* "Courez, courez jeunes gens! Les yeux fixés sur l'horizon ! Demain vous appartient ! "(Aoki sensei)