vendredi 7 décembre 2012

Remise des diplômes au Centre Luta pela Paz

 9 novembre 2012, le centre Luta pela paz m'a invitée à participer à la remise des diplômes du cours sur les genres et la violence. Je retourne à la favela de Marê, heureuse de revoir les jeunes et l'équipe. 

Les adolescents m'ont accueilli par des applaudissements. Ils sont contents de me voir, je le suis aussi. J'assiste au film qu'ils ont réalisé à la fin de leur formation. Ils y ont ajouté des photos de notre cours de Shintaido. C'est beau de voir ces images projetées sur le mur de la classe du centre. C'est beau aussi de les entendre parler sur leur expérience, ce qu'ils ont appris.

L'un d'entre eux, Guttenberg, m'avait promis la dernière fois de m'offrir un cadeau pour me remercier. Il part chez lui le chercher et revient avec un très joli bol à saké sur lequel est écrit le kanji "Rêve". Son rêve à lui, c'est d'aller un jour au Japon :  il dessine des séries de mangas sur son agenda et ses cahiers. Il me pose un tas de question sur le Japon et me demande de revenir bientôt au centre enseigner le Shintaido... 

La remise des diplômes se poursuit par une célébration avec gâteau "bleu et blanc" aux couleurs du centre, soda, musique... Nous dansons ensemble. L'ambiance est à la fête, les jeunes se sont considérablement soudés durant ce cours et sont tristes que cela se termine. 

La soirée se poursuit au centre des arts de la favela où a lieu un festival sur la culture noire. Après un défilé de mode d'une styliste de la favela, accompagné de mannequins également d'origine de la favela, un spectacle de capoiera et de percussions époustouflant? A la fin du spectacle, les danseurs nous invitent à entrer sur scène et nous nous mettons à danser au rythme des batucadas... En sortant du centre, des tirs commencent à se faire entendre à proximité. Patricia, une des éducatrices du centre d'origine dominicaine s'exclame : "En République Dominicaine, quand on entend des tirs, tout le monde plonge à terre, ici au Brésil, les gens continuent à marcher comme si de rien n'était... " J'écoute cette phrase chargée de bon sens, sans savoir si je dois plonger à terre ou continuer à marcher! Décidément, ce sont autant de réalités parallèles qui cohabitent avec des enjeux et des défis bien particuliers. Il est minuit et je retourne à la Zona sul, en mini-van, tandis que dans la favela la nuit ne fait que commencer. 

Voici quelques photos prises lors du cours que j'avais donné pour les adolescents le mois dernier.


Début du cours en cercle
                         

Echauffement - relâchement de la nuque

Echauffement - Etirement / relâchement des bras et des épaules


Tachi-jump


Tachi jump


Démonstration Tenso


AAH : Ouverture de Tenso 

Tenso 


Daijodan
Daijodan kumite 



Daijodan kumite













                         
 Daijodan kumite


                 


                                       
                                                Daijodan kumite


Partage des impressions

samedi 3 novembre 2012

Performances urbaines de Shintaido

A partir de novembre prochain, Tania et moi allons inaugurer une série de cours intitulée "Performance et Shintaido", au Département de Théâtre de l'Université UNIRIO. Dans le cadre de notre préparation, nous sommes allées faire quelques performances de Shintaido, dans la ville L'expérience s'est montrée très intéressante. Voici le reportage photo accompagné de quelques commentaires. 

La forme et l'expression - Nous avons choisi de réaliser la forme "Tenso" (天相 Ten: "Ciel" So: "Manifestation ou expression"). Ce mouvement s'initie par une ouverture du corps vers l'arrière, puis culmine par un étirement vers le haut, le visage tourné vers le ciel. Il exprime l'unification vers le Ciel "Ten", la poursuite d'un idéal. C'est une forme de prière par le corps, une célébration de ce qui est au-delà de notre perception et de notre condition humaines... La posture exprime la confiance totale, l'abandon et l'ouverture de soi. Habituellement, ce mouvement s'effectue en criant le son "Aaaa" de toutes ses forces. Compte tenu du contexte, le kata a été effectué sur place et en silence. Comme le montre les photos ci-dessous, nous avons pris le parti de porter des vêtements civils (et non un keiko-gi ou "vêtement de pratique"). Notre intention était d'effectuer le mouvement quand nous le sentions propices et dans l'espace qui nous semblait le plus adéquat. La performance a été réalisée dans trois espaces urbains : la rue, un magasin et un shopping.

Nous avons adapté l'expression au contexte, notamment en l'exécutant en silence, sans faire le son "Aaaa", comme habituellement, notre propos n'était pas de choquer, perturber les autres personnes.

Ces performances s'inscrivent dans le cadre d'une recherche sur l'art relationnel et l'artivisme en milieu urbain. Le Shintaido est appréhendé, d'une part, comme une technique de préparation de l'acteur (ou"training") qui permet à celui-ci, entre autres, de mobiliser ses ressources physiques, mentales et émotionnelles, de mobiliser ses aspects énergétiques, de gérer l'espace, de développer ses perceptions, d'avoir un corps décidé et créateur, etc.  D'autre part, les mouvements du Shintaido sont également appréhendés comme des formes d'expression à part entière de la performance. 

Rue Pinheiro de Machado


Grand magasin Casa Video 




Shopping Botafogo, devant la vitrine d'une pharmacie. 





"Pour que vous vous sentiez BIEN" (Para vôce se sentir BEM) - Nous nous sommes senties particulièrement attirées par la devanture de cette pharmacie. La posture du modèle sur la publicité évoquait déjà en soi une expression d'ouverture et d'expansion qui est particulièrement évocatrice du Shintaido. La performance devant la pharmacie du shopping a été l'unique moment où nous avons perçu que des personnes nous observaient.


Commentaires et retours sur l'expérience :
  • Effectuer le mouvement Tenso dans la rue, un magasin ou un shopping modifie de fait notre rapport à ces espaces urbains quotidiens et, par conséquent, modifie aussi le regard que nous portons sur notre place (posture, rôle, influence) dans ces espaces;
  • Faire Tenso modifie notre état intérieur, stimulant un état d'ouverture, de calme et un sentiment d'unification dans un cadre qui peut être perçu comme stressant, bruyant, agressif; 
  • Faire Tenso dans un cadre urbain change nécessairement notre rapport avec le mouvement lui-même, habituellement réalisée dans le cadre plus formel d'un keiko (pratique), que celui-ci soit réalisé dans un espace intérieur (dojo) ou bien en extérieur. En délocalisant la forme dans l'espace ouvert de la ville, celle-ci devient de fait LE lieu de la pratique ou dojo
  • Faire Tenso devient une métaphore de "faire une grande respiration" ou "faire une pause" ou bien encore "créer une brèche" dans l'espace-temps de la ville et dans notre espace-temps personnel;
  • Avec Tenso, on passe en quelques secondes de l'expression d'une direction horizontale (temps et espace linaires, parcourir un itinéraire ou accomplir un objectif) à une expression verticale qui est généralement non ou peu exprimée dans la vie quotidienne et encore moins dans la ville. On fait  rapidement l'expérience d'un hors-temps, hors espace, autrement dit d'un "ici et maintenant"); 
  • Effectuer le mouvement Tenso dans ces espaces urbains revient à réaliser un breachingpour reprendre une expression de l'ethnométhodologie.

Questionnements - Suite à cette première performance, plusieurs questions ont émergé : comment le fait de porter un keiko gi (vêtement de pratique) modifierait l'expérience? Qu'est-ce que cela apporterait? Comment envisager de faire le "Rei" (salut) au début et à la fin? Cette question faisant écho à la recherche sur la pratique du salut dans le Shintaido que j'avais mené en 2006 et dans laquelle j'avais exposé que le salut constituait en quelque sorte l'essence de la pratique, dans le sens phénoménologique.

Nous ne sommes qu'au début de cette recherche qui se développera dans le cadre des cours à l'Université, à partir de la fin du mois de novembre. A suivre....  

jeudi 11 octobre 2012

Courez, courez jeunes gens !*

Mardi soir, je suis retournée au complexe de Marê, dans le Centre Luta Pela Paz. J'y allais pour donner un cours de Shintaido kenko taïso aux mères des élèves. Mais, les choses ne se sont pas passées exactement comme prévu...


16h00. Je me prépare pour partir donner mon cours à Luta Pela Paz (Fight for peace), dans le complexe de Marê. Puisque c'est l'heure du rush, j'ai prévu une marge de temps supplémentaire. J'enfourche ma bicyclette pour rejoindre la station de métro Cidade Nova d'où je vais prendre un bus qui me mènera jusqu'au quartier Nova Holanda. C'est un véritable périple et je m'y rends seule pour la deuxième fois.

Complexe de Marê
Le bus s'éloigne peu à peu du centre de Rio, et se remplit à chaque arrêt davantage de passagers. Je m'aperçois bientôt que je suis une des seules personnes à avoir la peau claire. Les chanceux qui ont trouvé une place assise, se sont pour la plupart endormis, harassés par leur journée et la chaleur moite qui règne dans le bus. Pour ma part, le trajet se fera debout. Il est long, et les embouteillages le rendent plus long encore. Le soleil termine sa course dans le ciel et l'horizon est déjà tout orangé. Lorsque j'arrive à la passerelle 9, il fait presque nuit. 

18h. J'entame ma traversée de la favela. La musique des hauts-parleurs bat son plein. Les effluves de viandes grillées se mélangent à celles des fruits, du poisson séché et du pop-corn. Ce mélange bigarré couvre l'odeur nauséabonde qui règne habituellement dans la favela, en l'absence de traitement des eaux usées. Les passants sont nombreux, l'ambiance de la rue principale est animée et quelque peu chaotique, l'éclairage est limité : un réverbère sur trois fonctionne et les loupiotes des échoppes et des boutiques n'éclairent que faiblement la rue couverte de terre.... Je me sens toutefois en sécurité, bien que sur mes gardes, et apprécie l'animation qui règne. La semaine passée, le complexe était presque en état de siège et l'accès en était plutôt déconseillé. A l'approche des élections municipales, les forces de police avaient fait irruption dans la favela pour arrêter des trafiquants, générant un climat de tension et de peur chez la population. 

Séance de capoiera devant le centre Luta Pela Paz
18h15. Lorsque j'aperçois les murs bleus du Centre, je sais que je suis bientôt arrivée. J'en suis soulagée, car il fait déjà nuit. Des enfants qui arborent le tee-shirt "Luta Pela Paz" sortent du centre en décrivant des mouvements de capoiera. Un immense sourire illumine leur visage: une image du bonheur dans ce quartier des déshérités. L'équipe m'accueille et m'invite à me joindre à une réunion où il est question du règlement sur les compétitions... J'aime particulièrement l'atmosphère  qui règne dans le Centre, mélange de respect, de bienveillance, d'ouverture et de tolérance. 

Le dojo du Centre Luta Pela Paz
19h. je me dirige vers le dojo où doit avoir lieu cette première rencontre avec les mères des élèves. Sont attendues en principe une dizaine de femmes, âgées de 20 à 55 ans. L'idée est que je leur propose un entraînement doux de Shintaido, puis qu'ensuite soit engagée avec elles une discussion sur leurs conditions de vie et les violences conjugales qu'elles subissent.
19h15.  Aucune mère n'est encore arrivée. Je discute  avec les professeurs de Judo et de lutte libre sur les arts martiaux, en général, et sur l'importance de transmettre l'esprit de la pratique dans les entraînements, en particulier.

19h20. La coordinatrice du groupe des mères vient s'excuser car la rencontre doit être annulée, aucune mère n'étant venue. "C'est difficile de les sortir de leur routine, me dit-elle, surtout lorsque la proposition est assez ouverte, comme aujourd'hui". "Pour ne pas que tu te sois déplacée pour rien, ajoute-t-elle, nous te proposons à la place de donner un entraînement de Shintaido aux jeunes. C'est justement l'heure de leur cours de Judo. Et la professeur de Judo est d'accord pour te laisser sa place." Je jette un coup d'oeil par dessus le grillage et j'aperçois une quinzaine de jeunes entre 14 et 25 ans, dont une seule jeune fille plutôt corpulente, qui attendent en bas, dans la cour. Ils discutent avec leur professeur de Judo. Ils ont aimé la proposition, semble-t-il, car rapidement ils montent jusqu'au dojo, enfilent leur tenue, tout en me lançant des regards furtifs. 

Jigoro Kano
19h30. On me prête un keikogi (je n'avais pas amené le mien pour rester en syntonie avec les mères qui auraient été elles-mêmes en vêtement civil). Tout a été si vite que je n'ai pas eu encore le temps de réfléchir à un programme de cours pour les jeunes.  Pourtant, je me sens prête. Ichi go ichi e (Une chance, une vie). Je me plie au rituel du Judo : chaque élève vient me saluer individuellement, puis nous nous saluons  face à face, ensuite nous saluons ensemble le portait du fondateur du Judo, Jigoro Kano. C'est à moi! J'invite tout le monde à faire un cercle et à prendre la position seiritsu-tai. Le keiko commence. J'enchaine ensuite Tenshinjuso-ho, shiwa-taiso, keri en cercle en partant de la position accroupie, hitori wakame, sumo, tsuki tous en cercle, puis en fudo-dachi. Les jeunes qui pratiquent assidûment depuis trois mois le judo, mais aussi la boxe et la lutte libre, ont beaucoup d'énergie, et se mettent à compter en japonais avec moi d'une voix forte. Moi-même, je me demande d'où me vient subitement toute cette énergie...


Pierre Quettier, avec qui j'avais eu un échange d'email, suite à ma première visite au centre, m'avait suggéré d'introduire dans ce contexte particulier la technique Sankakutobi, "le triangle d'Irimi". Ce que je fais :  montrer le pas d'abord en expliquant brièvement l'intention. Puis, recevoir un par un l'attaque de chacun en file indienne avant de présenter la technique en kumite et leur demander de l'exécuter. Au final, quatre d'entre eux font une démonstration, suite à ma demande. Nous terminons la pratique en cercle par une méditation en seiza. J'expose brièvement quelques aspects du Shintaido, je leur explique que l'autre n'est pas perçu comme un ennemi ou un adversaire, mais comme un partenaire et qu'à travers les mouvements d'attaque et de réception, notre intention est de construire un nouveau type de relation et de communication, fondé sur un esprit de solidarité et d'entraide mutuelle pour grandir et dépasser nos peurs. Je sens la plupart des jeunes poindre enthousiastes, deux d'entre eux paraissent un peu plus sceptique. J'ouvre ensuite l'espace pour des questions/réponses : "Où peut-on apprendre et pratiquer le Shintaido à Rio?"... "Y'a-t-il des katas dans le Shintaido?"... "Est-ce que vous allez revenir donner un cours?"... "Quand....?"

Shintaido

21h30. Le cours s'achève comme il avait commencé. Les jeunes viennent me saluer individuellement en file indienne et me remercient. J'ai pu constater qu'entre le début du cours et la fin, leurs mouvements se sont considérablement étirés, leur expression s'est agrandie, leur corps s'est ouvert et leur visage détendu. J'ai mesuré, une fois de plus, que le Shintaido a pour effet de déprogrammer certaines habitudes ou instinct telles que la compétitivité, l'agressivité, l'enfermement et que les mouvements transmuent les intentions conflictuelles en une énergie constructive, positive pour l'individu et le groupe.

22h15. Je quitte le Centre avec deux autres collègues. Nous traversons la favela en voiture pour rejoindre l'Avenida Brasil d'où je vais prendre un bus, puis le métro qui me ramènera vers la Zone Sud  et mon domicile. Chaque visite à Marê me fait davantage prendre conscience comment deux réalités si opposées, se côtoient à si peu de distance : l'opulence, les privilèges et le confort d'un côté, la pauvreté, l'absence de tout et la lutte pour survivre, de l'autre. Pendant le trajet, je repense à l'intensité de l'expérience inattendue que je viens de vivre.  Je revois les visages des jeunes en train de pratiquer et suis tellement heureuse d'avoir partagé cette pratique de Shintaido avec eux. J'ai une pensée pour tous ceux et toutes celles qui enseignent le Shintaido, à travers le monde....

* "Courez, courez jeunes gens! Les yeux fixés sur l'horizon ! Demain vous appartient ! "(Aoki sensei)



mardi 2 octobre 2012

Shintaido Bo-jutsu à Rio

Dans cet article, je parle du cours de  bo-jutsu qui a démarré le 22 septembre, jour du printemps, ici à Rio.


Lors des pratiques hitori (en solo),  le bâton est un bon compagnon. Cet été justement, j'avais ramené de France une dizaines de bo. Tous ces derniers mois, j'avais regretté d'avoir laissé le mien à Paris. 
Bien que n'ayant auparavant jamais enseigné le bo, j'avais à l'occasion montrer et proposer quelques applications dans le dojo d'Aikido où j'enseigne à Rio. Les élèves s'étaient montrés intéressés, curieux et désireux de pratiquer plus.... L'idée d'ouvrir un cours de Shintaido Bojutsu en plein air avait alors commencé à germer dans mon esprit. 

J'avais été également inspirée en apprenant qu'Aoki sensei avait en partie conçu le curriculum du Shintaido Bo-jutsu, après à son  séjour au Brésil, comme il l'écrit dans son livre Total stick fighting : "The inclusion of nagewaza was a late development that resulted in part from a journey I made. In 1976, I felt I had finished developing the system for teaching Shintaido Bojutsu, and during the next two years I traveled extensively through Central and South America. I was profoundly moved by the scale and sheer beauty of place like Mato Grosso in Brazil, and the Andes mountains. I determined to try to create a stick-fighting system that would have something in common with the grandeur of those landscapes and at the same time in imbued with the deeply natural aspect of our humanity. With this in mind, I completely revised the Shintaido bojutsu I had developped to that point, and was able to make it into a much richer system." (p. X) Autant de motivations pour que je décide de mettre en place ce cours. 

Le rendez-vous a été donné le jour du printemps, dans le Parque Guinle, lieu de résidence du gouverneur de l'Etat de Rio. C'est un véritable havre de paix et de nature, en pleine ville, qui a été dessiné par un paysagiste français Gérard Cochet avec des suggestions du célèbre artiste brésilien Burle Marx. Le "dojo" est un terre plein qui domine le Parc, un peu à l'abri des promeneurs. Par chance, cet espace est ombragé. C'est un détail important, compte tenu de l'ensoleillement et de la chaleur parfois écrasantes qui règnent sur Rio (jusqu'à plus de 40 °C l'été). Le cours a lieu le samedi matin, de 10h à midi, ni trop tôt pour laisser aux cariocas la possibilité de se remettre des fêtes du vendredi soir, ni trop tard pour ne pas rivaliser avec les activités du samedi après-midi. A l'annonce du cours, plusieurs personnes ont manifesté leur enthousiasme pour connaître le Bo-jutsu et venir essayer. 


Malheureusement, la nuit précédant le cours, il a plu des trombes d'eau et au matin, le ciel était encore gris et menaçant. Autant dire que pour un carioca, un temps pareil est une invitation à rester au sec chez soi et attendre le retour du soleil. Nous étions pourtant quatre valeureux pratiquants pour ce premier cours : Tania, Nathalia, Lucas et moi. Lucas est aussi pratiquant de Krav-maga, une méthode d'auto-défense israélienne. A la fin du cours, nous avons  échangé des points de vue sur nos pratiques et même fait quelques kumibo ensemble... 

 Lors du deuxième cours, des passants ont observé, des enfants ont fait des commentaires, des chiens mi-peureux, mi amusés, ont reniflé les bo. Mais c'est surtout l'un des jardiniers du Parque qui avait l'air intrigué. Il a d'abord regardé la pratique de loin, lançant des regards furtifs. Il s'est finalement rapproché nonchalamment, tout en continuant à ratisser les feuilles tombées sur la pelouse. "Legal isso! O que que é?" ("C'est chouette ça, qu'est-ce que c'est?") je lui ai brièvement expliqué l'origine du Bo-jutsu version Shintaido.  Lui, avait commencé à pratiquer le Nunchaku pendant trois mois, mais il avait dû arrêter à cause de ses horaires de travail. Alors que nous continuions à discuter, il s'est mis à reproduire les mouvements de Juggle bo avec le râteau qu'il tenait à la main. Il s'est éloigné en faisant tournoyer son râteau dans l'air tout en commentant : "E intéressante, é muito interessante! (C'est intéressant, c'est très intéressant !) 

jeudi 27 septembre 2012

Séance de Shintaido au centre "Luta pela paz"

Le 26 septembre 2012, je suis allée à l'ONG Fight for peace, située dans le complexe de Marê, à la périphérie de Rio pour présenter le Shintaido à un groupe d'adolescents. Cet article raconte le récit de ma visite à l'ONG.  

Le Complexe de Marê regroupe 17 favelas (Rio en compte 763) où résident 132 000 personnes dont plus de la moitié sont des enfants, des adolescents et des jeunes adultes. Le taux de pauvreté, d'exclusion et de violence y est extrêmement élevé. Il n'y a pour ainsi dire quasiment aucun service public.


L'ONG Luta pela paz (Fight for peace) existe à Rio depuis 2000.  Elle utilise la boxe et les arts martiaux pour aider les jeunes défavorisés à développer leur potentiel et à inventer un futur.  Elle propose également du soutien scolaire, des formations et une aide sociale. Le tout fondé sur des principes de respect, de valorisation et d'entraide mutuelle.

Se rendre à Marê n'est pas simple, il faut prendre un bus qui mène du centre de Rio jusque vers la périphérie de la Zone Nord. Le trajet prend environ 1h, mais comme les bus passent rarement, il faut bien compter 2 heures. Une fois atteint la passerelle 9, on descend du bus pour entrer dans la favela, immense labyrinthe de rues en terre battue où s'étalent, dans un désordre légèrement structuré, des maisons en briques, des baraques en tôle, des cabanes en bois. L'ambiance est colorée : la musique résonne, des étals proposent des fruits, des légumes, des poissons, des épices, mais aussi des vêtements et du bric-à-brac. Des motos passent à tout allure, en vrombissant. Les voitures sont rares. Les habitants se déplacent à bicyclette ou à pied.

A Marê, on ne sait jamais trop ce qui peut arriver, ni qui l'on peut rencontrer...  Les règles sont différentes. La violence y est extrême : trafic de drogue, mafia, crimes, règlement de compte, balles perdues. C'est surtout l'arrivée des forces de la police qui est redoutée. Marê est l'une des communautés de Rio qui n'a toujours pas été pacifiée par l'UPP (Union Pacificatrice de la Police) en vue de la Coupe du monde en 2014. La loi est celle des gangs et des trafiquants qui font régner la terreur. Traverser la communauté pour rejoindre le Centre Luta pela paz est un défi : ne pas croiser les regards, ne pas se faire remarquer, marcher droit, rester vigilant.

Après la traversée de la favela, la vue du Centre de Luta pela paz fait l'effet d'arriver à une oasis. Le Centre est propre, bien tenu, bleu à l'extérieur mais aussi à l'intérieur. Il n'y a aucun graffiti sur les murs. L'ambiance est détendue, les visages souriants et l'accueil chaleureux. On se sent rapidement à l'aise.

 L'équipe m'a proposé de faire une séance de Shintaido pour un groupe d'adolescents, dans le cadre d'un cycle de cours sur la violence et la vulnérabilité. La séance a lieu dans un dojo tout neuf, spacieux. Les adolescents se présentent les uns après les autres et se montrent particulièrement fiers d'énoncer leurs pratiques : judo, lutte libre, boxe, ju-jitsu, capoeira. Avant que le cours ne commencent, je les observe jouer à lutter. Plusieurs semblent avoir déjà une longue expérience. Leurs mouvements sont précis, efficaces. Je les admire et me dis que je ne saurai sans doute pas en faire autant...

Après un bref échauffement, j'ai choisi de mettre l'accent sur la forme Daijodan et son application avec partenaire, comme expression de la vulnérabilité. Je termine la séance avec Shinwa taiso, l'étirement du dos au sol. Les adolescents rigolent et se dispersent rapidement. Si certains sont appliqués, ils se laissent toutefois facilement distraire par les éléments perturbateurs. Ils parlent vite, dans un argot que je ne comprends pas toujours. L'ambiance est bruyante, chaotique, mais bonne enfant, la concentration reste difficile à tenir. Parfois l'un d'entre eux se jettent brutalement sur un autre, jusqu'à le faire basculer à terre. Les mouvements et les sons du Shintaido provoquent leurs rires. J'arrive à garder mon sang froid et réussis à inventer des subterfuges pour capter leur attention. A trois reprises, un silence royal règne dans le dojo : lors des respirations en seiza, en faisant Aozora-taiso et quand je fais une démonstration de daijodan. Les mouvements du Shintaido ainsi que le gorei  me soutiennent et m'aident à rester concentrée. Je comprends rapidement que compte tenu de leur environnement, il est crucial pour eux d'apprendre à s'ouvrir sans pour autant devenir plus vulnérable encore. Marê est un champ de bataille où l'on peut perdre la vie.

Après la pratique, nous lançons le débat : les jeunes se mettent à parler de leur vulnérabilité au quotidien. Ils racontent des histoires tout en faisant des blagues. Chacun connait au moins une personne qui est mort sous les balles de tir.  Le pire, ce sont les descentes intempestives de la police qui viennent  arrêter les trafiquants. Alors, les tirs commencent et la communauté devient un enfer. Il y a aussi une autre forme de violence plus sournoise qui sévit au sein des familles : mères battues, parents maltraitants, enfants battus à leur tour... Ils sont confrontés depuis leur naissance à une dose de violence quotidienne difficilement imaginable, dans un environnement où l'imprévisible est la règle. Ils ont la peur au ventre et vivent avec constamment. Apprendre à lutter est pour eux une planche de survie, toutefois ils n'ont pas le droit de lutter à l'extérieur du Centre au risque d'en être exclus... Rapidement, c'est de nouveau le brouhaha et plus personne ne s'écoute.

A la fin de la séance, nous faisons Aozora-taiso tous ensemble. Les jeunes et l'équipe ont l'air d'apprécier. Puis, nous chantons tous ensemble pour nous donner du courage. Les rires fusent à nouveau et c'est le moment de se quitter... En partant, ils me demandent quand je reviendrai et me remercient.

Je repars heureuse d'avoir vécu cette expérience un peu "Beyond the limits" pour moi et aussi touchée d'avoir partagé le Shintaido avec eux. Je reviendrai à Marê le mois prochain pour pratiquer avec les jeunes mères cette fois...                                                                                                                                                                                          


Premiers pas

Dans ce blog, j'ai l'intention de décrire l'expérience de développement du Shintaido à Rio de Janeiro où je suis installée depuis juillet 2011.

C'est une expérience que je trouve particulièrement intéressante et enrichissante pour moi. Il n'y a aucun cours de Shintaido à Rio et cet art n'est presque pas connu au Brésil. J'ai ainsi devant moi un grand territoire vierge où je peux planter des graines, accompagner leur développement et assister à la floraison. Il y a aussi les difficultés, celles que rencontrent tout instructeur, auxquelles viennent s'ajouter celles liées non seulement à mon isolement sur place mais aussi aux différences culturelles et géographiques.

Depuis mon arrivée, j'ai ouvert deux cours de Shintaido, l'un dans un centre d'Aïkido et l'autre dans un espace dédié à des pratiques corporelles en conscience, Espaço Jaguadarte. Le public initial a été mes amis, puis les amis de mes amis, puis les amis des amis de mes amis, etc. J'ai rapidement édité une petite plaquette pour présenter le Shintaido et donner les informations pratiques. J'ai également créé un site web www.shintaidorio.com. Pour divulguer les cours, j'ai organisé des cours gratuits, ainsi que deux  démonstrations. J'ai également commencé à donner des cours individuels pour des personnes qui n'ont pas la condition physique adéquate pour participer aux cours collectifs.

Globalement, le Shintaido reçoit un bon accueil à Rio. Les personnes qui sont venues expérimentées un cours ont pour la plupart aimé, se sont senties dans une meilleure condition physique et énergétique après la séance, avec une légère sensation euphorisante et un mental clarifié. Les gens d'ici rentrent avec facilité dans la pratique. Il faut dire que le contact physique est bien plus naturel au Brésil que dans la culture française. De plus, il y a une conscience corporelle développée. Enfin, le climat plutôt chaud et humide laisse le corps plus détendu. La difficulté est ailleurs : celles de se concentrer sur UNE activité, d'être régulier, de ne pas se disperser, de persévérer...